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Quand une narration captivante peut rassembler les gens : entretien avec Lucy Kruger, marraine d'Europavox Campus


17 Avr 2025
Quand une narration captivante peut rassembler les gens : entretien avec Lucy Kruger, marraine d'Europavox Campus

Lucy Kruger, chanteuse du groupe allemand Lucy Kruger & The Lost Boys, est la marraine de l’édition 2025 d’Europavox Campus. L’occasion parfaite pour discuter avec cette chanteuse, auteure-compositrice et guitariste talentueuse basée à Berlin mais originaire d’Afrique du Sud, de sa vie d’artiste, de ses inspirations musicales et de son processus créatif.

Peux-tu nous parler de ton parcours et nous expliquer comment t’est venue l’idée de devenir musicienne ?

Quand j’étais assez jeune, j’étais complètement obsédée par le chant. La copine de mon frère a commencé à jouer de la guitare quand j’avais environ 16 ans, et j’ai pu voir ce que cela signifiait de créer sa propre musique. C’était très émouvant. Comme j’ai grandi en Afrique du Sud, je n’avais pas beaucoup d’exemples de femmes autour de moi jouant de la guitare. J’ai tout de suite pris des cours, juste assez pour pouvoir écrire mes propres chansons.

Ensuite, j’ai étudié le journalisme à l’université, mais on pouvait aussi prendre théâtre comme matière, et j’ai adoré ça. J’ai étudié pendant quatre ans, puis j’ai déménagé à Cape Town où j’ai commencé à jouer lentement sur scène. J’ai fini par laisser tomber le théâtre pour me consacrer sérieusement à la musique.

Il y a maintenant sept ans, j’ai déménagé à Berlin, car il était assez difficile de faire carrière dans la musique en Afrique du Sud, surtout dans la scène alternative, qui a un public très niche. J’avais déjà organisé des tournées européennes avec un ancien groupe. Mais voyager en Europe avec un passeport sud-africain, c’est compliqué. Monter ces tournées demandait énormément de travail. Après l’avoir fait deux fois, j’ai compris que je devais m’installer ici – ce que j’ai fait.

Au début, je faisais absolument tout ce que je pouvais. Je disais oui à tout, j’ai envoyé un million de mails, je suis allée à des concerts, j’ai essayé de rencontrer des gens… et peu à peu, j’ai rencontré des personnes qui pouvaient m’aider.

Un jour, je faisais la première partie d’un groupe, en solo, et une femme d’un petit label allemand était présente. Nous avons commencé à travailler ensemble. Avoir quelqu’un qui comprenait la structure de l’industrie musicale en Allemagne a été d’une grande aide. Elle m’a aussi fait découvrir les possibilités de financement, ce qui n’existe pas vraiment en Afrique du Sud – et cela a vraiment sauvé ma carrière.

En tant que groupe, comment réussissez-vous à trouver un terrain commun pour exprimer l’identité et les émotions de chacun ?

Le premier album que j’ai fait, c’était avec un producteur. Il avait réuni des musiciens incroyables. Mais j’ai retiré cet album des plateformes après un an car il ne me ressemblait pas du tout. J’avais l’impression que les musiciens n’étaient pas vraiment connectés à moi ou à ma musique, et que je devais tout recommencer.

Un jour, je suis allée seule à un concert et j’ai demandé au musicien après son set s’il voulait jouer avec moi. Il a été vraiment gentil et a accepté. Après cela, j’ai commencé à former mon groupe petit à petit.

Je faisais beaucoup confiance – peut-être même trop – mais je pense que c’est la bonne manière de faire. À ce moment-là, j’ai aussi compris que j’avais encore beaucoup à apprendre. Ils en savaient plus que moi musicalement, alors je voulais leur laisser de la place. Quand j’apportais une chanson, on se réunissait dans une pièce et chacun improvisait. Le premier album qu’on a fait ensemble n’était probablement pas aussi bien produit que mon tout premier, mais il me ressemblait beaucoup plus.

Je ne compose pas pour les membres du groupe. Je peux leur donner des idées, mais je leur fais confiance. C’est un processus assez abstrait. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai appelé mon groupe Lucy Kruger & The Lost Boys : j’ai réalisé que je ne pouvais pas tout faire seule. Une chose merveilleuse – et parfois frustrante – avec la musique, c’est qu’on ne peut pas vraiment la faire seul·e. Il faut comprendre avec qui on travaille : bien sûr, il faut être sur la même longueur d’onde musicalement, mais aussi pouvoir se connecter personnellement, y compris au niveau des convictions politiques.

Est-ce que ces convictions politiques influencent aussi ton écriture, même si tes paroles paraissent très personnelles ?

Je viens d’un endroit très politisé, et j’ai envie de participer à cette conversation. Mais je ne sais pas vraiment raconter les histoires des autres, et je ne suis pas certaine que ce soit ma place. Le mieux pour moi, c’est d’écrire des textes très personnels. Ils peuvent être politiques, mais je peux les exprimer comme je veux, car ils ne concernent que moi. J’ai toujours essayé de raconter mon histoire, selon différents angles.

Vous voyez, cette sensation quand tu lis un poème ou un livre, et que l’auteur décrit une expérience d’une manière si juste que tu te sens moins seul·e ou mieux compris·e ? C’est ce genre de narration que j’essaie d’utiliser dans ma musique.

Comment gères-tu le stress des concerts ? Est-ce que cela devient plus facile avec le temps ?

Je crois que ma relation avec la scène a beaucoup évolué au fil des années.

Il y a eu une période où je souffrais énormément du trac. Quelque chose dans cette situation me rendait très vulnérable. Et malgré tout, je continuais à me présenter et à essayer. Avoir un groupe en qui j’avais confiance a fait une énorme différence.

Une fois, je faisais une reprise avec un nouveau batteur, et il m’a expliqué comment lui gérait le stress : il s’assure de pouvoir jouer une chanson 20 fois sans faire d’erreur en répétition. Mais je ne suis même pas sûre d’avoir déjà joué une de mes chansons trois fois sans erreur ! Je suppose que ça dépend aussi du style de musique – parfois, c’est OK de ressentir ce stress.

Je sais, en regardant les artistes que j’aime, que ce n’est pas forcément une question de performance parfaite. Et un·e musicien·ne un peu nerveux·se, c’est normal, ça montre qu’il ou elle se soucie vraiment de ce qu’il ou elle fait.

Quand tu est sur scène, comment aimerais-tu que tes histoires soient perçues par le public ?

Pour moi, le processus d’écriture est très différent de celui de l’interprétation. Dernièrement, je ne suis même plus certaine que les paroles comptent tant que ça en concert. Je pense que c’est bien plus une question d’énergie transmise. Les mots sont un outil parmi d’autres, ce ne sont pas les plus importants. Tout est dans la manière de les faire vivre.

Tout le monde dans le groupe vient d’un endroit différent, on vit dans un pays d’où personne n’est originaire et on part en tournée dans d’autres lieux variés. Je crois que cet échange autour de la musique, le fait de jouer devant des publics différents et de provoquer des émotions collectives, c’est ce qui permet un vrai sentiment d’unité.

L’année dernière, on a fait un nombre incroyable de concerts à travers l’Europe. C’était génial, j’ai adoré. C’est quelque chose de très fort, touchant, humain. Avoir la chance de voyager avec la musique, c’est un vrai privilège.

Pourquoi as-tu accepté d’être marraine d’Europavox Campus cette année ? Et qu’attends-tu de ce projet ?

Quand je suis arrivée à Berlin, je ne connaissais personne. On parlait beaucoup de « networking », et j’en avais une image très négative – j’avais l’impression qu’il fallait impressionner, jouer un rôle. Mais j’ai fini par comprendre que ce n’était pas forcément ça. Créer de l’art et de la musique, vivre une vie épanouie, ça passe avant tout par la communauté, sous toutes ses formes.

Je crois vraiment en la musique, et en son importance. Mais, d’une certaine manière, c’est de plus en plus difficile de trouver l’espace et les ressources pour la faire vivre.

Je pense que ce qu’Europavox essaie de faire – créer cet espace pour que les musicien·ne·s puissent développer leur pratique et en faire quelque chose d’utile à nos communautés – c’est extrêmement précieux.

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